LE CHÂTEAU DE TARASCON …
… est un voyage.
Un voyage à travers le temps bien sûr, dans l'histoire, à livre ouvert,
Un voyage intérieur aussi,
Un périple...
Un champs poétique,
Un terrain de jeu,
Un formidable jeu de construction tout d'abord,
Une sorte de prototype original, unique : espaces, volumes, pans coupés, ouvertures, passages, perspectives : j'ai l'impression de parcourir là un modèle expérimental d'architecture, de pénétrer dans un habitat et un mode de vie certes ancestraux, mais en même temps enviable d'épure malgré (ou grâce à !) leur rigueur, leur rudesse.
Les "chambres" donnent envie de s'y arrêter, d'y travailler, dormir, méditer, tant leurs vibrations, (leur "Fung Shui" naturel pourrait-on dire) résonnent d'une énergie parfaite et engagent à la pratique spirituelle. Regarder se lever et se coucher le soleil, descendre et remonter le Rhône au fil des saisons, ad vitam aeternam, en toute sérénité dans l'encoignure et la profondeur de ces fenêtres serait un Bonheur enviable...
Bien des architectes contemporains pourraient s'inspirer de ces lignes et de ces proportions, de ces pentes douces, de ces géométries limpides. Et en particulier de ces cheminées, véritables morceaux de sculpture minimale, sur lesquelles ni le temps ni les modes n'auront plus jamais de prise, "modernes" comme on dit trop souvent, faute d'un vocabulaire qui conjuguerait avec plus de précisions le temps qui passe. Intemporelles.
Meubler aujourd'hui le château serait d'ailleurs une bien inspirante gageure tant on a envie d'imaginer là un mobilier et un environnement qui soient à la hauteur du monument…
Côté "jeu" il y aurait également quelque chose s'approchant du Monopoly,
Ne traverse-t-on pas dans cette citadelle venelles et allées, appartements et logis, quartiers militaires et prison ? Laissant libre cours à l'imagination, déchiffrant les noms de ceux qui furent là détenus ou en garnison, catalans, anglais, etc... fantasmant sur les pérégrinations martiales ou pénitentiaires de ces hommes sans visages aux personnalités pourtant si palpables à travers les indices souvent très spirituels qu'ils nous ont laissés gravés dans la pierre. Echiquier malins à même les assises, graffitis hermétiques, caricatures. Signes cabalistiques. Signes de piste.
Tatouages minéraux ésotériques ou triviaux, scarifications païennes ou peintures lunaires composent le précieux journal intérieur de ces "pensionnaires" de toutes les époques, autant d'empreintes dont la lecture se révèle intarissable
Une indéfectible piété exsude des frustes croix puissamment gravées, des oratoires de marins ou mariniers. S'y déroulent sur les parois des "régates" immobiles, où toute une armada rivalise de vitesse statique, et d'abstraction pure en même temps que précise, ses esquifs affutés fendant le fleuve de pierre.
Tandis que la sérénité naît de l'aimable grandeur de la chapelle, de l'oasis élégante de sa nef aux piliers gracieux, graciles, des "palmes" parfaites de ses arcs élancés comme autant de rampes de prière
Ces espaces désertiques où l'on déambule comme à l'intérieur du squelette sophistiqué d'une créature légendaire, familière des licornes et des dragons, me touchent car ils sont le lien subtil entre la rigueur spartiate d'un Moyen Âge finissant et les prémices d'une Renaissance plus fleurie, plus accueillante, Yin et Yang, le patchwork féminin/masculin est harmonieux, comme l'alternance des tours rondes et carrées à l'entour de l'enceinte.
Des volumes cubistes, primitifs de certaines salles, on glisse vers la dentelle de pierre de la cour d'honneur où un minimum d'imagination suffit pour que renaissent les cavalcades, le grand train des entrées royales, les fastes bruyants des veilles de fêtes tant la rumeur exaltée de tant d'événements semble gravée dans les murailles, le sol de galets assourdissant encore du fracas des attelages et des sabots.
On devine, comme "enregistrés", le bruit et la fureur de certaines époques, alternant avec les longs silences d'un Palais de "Belle au Bois Dormant" sous la canicule, pantelant de chaleur et de lumière, oublié, presqu'invisible entre le ciel et l'eau réverbérant, aveugles, le soleil blanc, intempestif.
Chaque saison y a ses repères, recoins où se réchauffer, voûtes où se rafraîchir, cheminées, terrasses et jardins. On se rêverait hôte de ce Roi. Et même les anciennes geôles auraient leur charme. Résider là plusieurs jours, châtelain invité, goûtant chaque perspective, chaque point de vue d'où embrasser Comtat, Provence, Camargue, depuis le toit livré au Mistral et à tous les vents. Écrire selon l'humeur, le bon plaisir et les jours, lire, jouer, faire de la musique, peindre, chanter, éprouver tous les sens dans le luxe essentiel des appartements, dans le jardin de littérature, de "simples" et de poésie, sous un arbre, à écouter le babil de l'eau à la fontaine, le bruissement des insectes dans une brume de parfums. Dégustant les fruits d'un verger imaginaire.
Faste et abandon, guerre et paix, repos et révolution, Amour et désamour, le château de Tarascon est une saga, un conte, un roman, une épopée, une chanson de geste, une bande dessinée aux épisodes bigarrés qui s'entrechoquent au long du temps et du Rhône. C'est un théâtre prêt à accueillir tous les répertoires, tragique, antique classique, comique, ou shakespearien, les films de cape et d'épée, d'art et d'essai. Peint, sculpté, pourquoi pas dansé, chanté (que n'y a-t-on jamais donné la "iolanta" de Tchaïkovsky, opéra dont l'action se passe là, à la Cour du Roi René et de sa fille aveugle qui recouvre la vue !!!) le Château est tous les arts et tous les sens à la fois, le terrain de toutes les expériences, un jardin d'essai, le champ de bien des investigations
Le décor de nos propres fantasmes, et créations,
Passé présent et à venir
C'est un monument historique,
C'est un monument contemporain
C'est un monument du futur
À visiter sans modération.
Texte introductif publié dans le livre inédit sur Le château de Tarascon, à paraître pour l’été 2017.
Référence : Aldo Bastié (auteur), Hervé Hôte (photographe), Le Château de Tarascon – Centre d’art René d’Anjou, éditions du Patrimoine, Collection Regards.